Un ancien garde à Rebeuss : «Ino m’avait proposé 250 000 francs CFA pour s’évader»
Avant de fausser compagnie aux surveillants de la prison de Rebeuss, en février 1999, le chef de gang s’était confié à l’un d’entre eux en essayant de le corrompre. Ce dernier témoigne, près d’un quart de siècle plus tard.
Il s’appelle Waly Mbodji. Il est ancien surveillant à la Maison d’arrêt et de correction (MAC) de Rebeuss. Il a pris sa retraite de l’Administration pénitentiaire il y a cinq ans. Dans Le Quotidien de samedi, il se souvient comme si c’était hier de l’évasion de Ino, l’un des bandits les plus notoires et redoutés de l’histoire du Sénégal.
Le journal a pris comme prétexte l’évasion de Pape Mamadou Seck pour consacrer deux pages à ce chef de gang mort en détention en 2005. A juste 28 ans.
Dans son récit, Waly Mbodji révèle un détail intriguant : Ino l’avait mis au parfum de son projet d’évasion en lui demandant de l’aider contre 250 000 francs CFA. Il déclare aujourd’hui lui avoir répondu, à l’époque : «Tu es malade ! Si j’avais l’intention de te faire évader, au moins tu m’aurais remis cinq millions pour que je puisse obtenir mon passeport et quitter le pays. Celui qui te laissera t’évader restera à ta place en prison.»
Non-dénonciation
Ce qui est étrange dans l’affaire, c’est que l’ancien garde de dénonça pas Ino. Pas même au moment de quitter Rebeuss pour rejoindre la prison du Cap Manuel où il a été muté après des désaccords avec le directeur de la MAC.
Waly Mbodji a juste pris le soin, dit-il, de mettre en garde un de ses supérieurs. Mais sa confession était vague. «J’ai eu à dire au chef du personnel, Issa Thioune : ‘Vous êtes en train de m’affecter, mais il y a des évasions très spectaculaires qui sont en train de se préparer’.»
Et à l’interpellation inquiète de Thioune : «Tu ne peux pas les dénoncer», Waly Mbodji confie avoir répondu : «Non, moi je quitte la prison centrale, il y a d’autres surveillants, ils n’ont qu’à creuser leurs méninges.»
L’ancien garde justifie son attitude par sa grande confiance à dispositif de surveillance des détenus. Il dit : «Je savais que nous pouvions déjouer ce jeu-là (le plan de Ino) parce nous avions une brigade très active.»
La chambre de 10 ne répond plus
Le plan de Ino et sa bande ne sera pas déjoué. Au contraire, il se déroulera à merveille, comme sur des roulettes.
Une nuit de février 1999. Dakar baigne dans la douceur des basses températures de fin et début d’année dans l’hémisphère sud. Les pensionnaires de Rebeuss viennent de finir de prendre le dîner. A la chambre 10 où sont détenus Ino, Boy Nar, Pape Ndiaye et Babaly Traoré, le surveillant Cheikh Tidiane Dramé retire les plats. L’effectif des gardes était réduit.
Dans l’article compte-rendu de cette nuit tragique, le quotidien Wal fadjri rapporte que c’est le moment choisi par les éléments de la bande pour passer à l’action. C’est Boy Nar qui lance l’assaut en se jetant sur Dramé. Il l’étrangle de toutes ses forces. Ino surgit et l’assomme avec un énorme cadenas. Le garde s’évanouit. Le chef de la bande s’empare de son pull-over et de son béret. Il les enfile et ouvre le chemin en lançant aux personnes qu’ils croisent : «Nous sommes armés. Nous tirerons sur quiconque bouge.»
Ino, Pape Ndiaye et Boy Nar réussiront à franchir le portail de la prison sans être inquiétés. Babaly Traoré, lui, sera épinglé.
Complicités internes ?
L’affaire fait grand bruit. Une trentaine de personnalités publiques, soupçonnées de recel de prisonniers, seront entendues par les enquêteurs. Mbaye Kane Lô et Mame Cheikh Lô, deux fils de Badara Lô, ancien baron socialiste, seront arrêtés. Ils sont accusés d’avoir planifié l’évasion.
Ino dira plus tard que ses complices étaient aussi bien «à l’intérieur de Rebeuss (il cite le régisseur-adjoint)» qu’en dehors de la prison. Waly Mbodji acquiesce : «C’est sûr qu’ils avaient bénéficié de complicités au sein de l’administration pénitentiaire.»
Pour l’ancien surveillant, deux autres facteurs ont facilité l’évasion de Ino et Cie. Ses collègues en service au niveau du poste de police au moment de l’évasion «ont été nonchalants». En plus, il y a, à son avis, le manque d’effectif de l’administration pénitentiaire combiné à de nombreuses failles de sécurité au niveau de Rebeuss.
Waly Mbodji affirme avoir alerté sur ces impairs en adressant une correspondance à l’Assemblée nationale. Manifestement, son appel n’avait pas été entendu.